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Article
Les
bases neurales de la croyance religieuse
par
Jean-Paul Baquiast
13 février 2009

Megachurch évangélique aux
Etats-Unis
De
plus en plus de scientifiques essayent aujourd’hui
de comprendre les raisons pour lesquelles les hommes continuent
à s’enfermer dans des croyances religieuses,
quel que soit d’ailleurs le type de divinité
à laquelle ils s’adressent 1).
Non seulement ces croyances sont universelles, mais elles
semblent en train de progresser, contrairement à
ce qu'affirment certaines enquêtes croyant percevoir
un recul du religieux au fur et à mesure de l’élévation
du niveau de vie.
Les
explications données à ce phénomène
peuvent être de plusieurs types. Les unes s’appuient
sur l’analyse des compétitions passées
ou contemporaines entre groupes. Dans les sociétés
humaines, un certain nombre d’organismes sociaux (que
nous pouvons qualifier de superorganismes selon la terminologie
désormais usuelle) ont spontanément découvert
qu’ils pouvaient utiliser les croyances religieuses
de leurs membres pour conquérir ou conserver un pouvoir
social. Ceci a donné naissances aux églises
ou structures analogues, parmi lesquelles on trouve aujourd’hui
d’innombrables formes de sectes, dont l’action
vise principalement à exercer le pouvoir politique
et économique, même si elles s’en défendent.
Les pouvoirs politiques proprement dits se sont très
souvent rapprochés de ces pouvoirs religieux afin
d’exploiter ensemble les mêmes ressorts sociaux.
Mais si ces explications sont recevables, elles ne suffisent
pas à comprendre la généralité
du phénomène religieux.
On
trouve dans la littérature spécialisée
d’autres types d’explications faisant appel
à des observations faites en imagerie cérébrale
ou à des analyses endocriniennes. On a pu montrer
ainsi que des zones cérébrales bien individualisées
s’activent lorsque les sujets sont, soit en méditation,
soit en train d’affirmer des croyances bien définies.
Au plan endocrinien, on a récemment observé
que le fait d’agir à l’unisson d’un
groupe solidement constitué produit des effets de
récompense, sous forme d’émission de
testostérone ou molécules analogues qui confortent
l’appartenance de l’individu au groupe. Mais
ces différents phénomènes, qui tendent
à renforcer l’homogénéité
des superorganismes humains, ne supposent pas nécessairement
la croyance en une divinité. Croire en un chef politique
peut provoquer les mêmes effets de récompense.
Sur
un plan un peu différent, on a depuis longtemps déjà
évoqué le fait que les premiers hominiens
découvrant la réalité de la mort n’auraient
pas survécu au désespoir en résultant
si leur cerveau n’avait pas immédiatement inventé
la croyance en une vie surnaturelle. De la même façon,
dans les temps de crise, les populations se rapprocheraient
des religions afin d’y trouver les consolations qu’elles
ont perdu dans la vie matérielle. Ainsi les bases
neurales générant la croyance en une vie extraterrestre
auraient été sélectionnées pour
leur caractère prophylactique, si l’on peut
dire. Mais une objection très fondée a été
faite. Pourquoi la croyance en une vie meilleure n’aurait-elle
pas incité les individus à rechercher la mort
au plus vite, afin d'atteindre au paradis et à ses
onze mille vierges, comme semblent le faire aujourd’hui
les combattants candidats aux attentats-suicides.
D’autres
scientifiques, notamment Michaël Gazzaniga 2),
proposent de rechercher les propension à la croyance
dans la très petite enfance. Il s’agirait d’un
sous-produit, si l’on peut dire, de la façon
dont le cerveau se construit en interprétant au mieux
les messages sensoriels. Pour Gazzaniga, le nouveau-né,
jusqu’à la petite enfance, est un « dualiste
né ». (on pourrait évoquer aussi à
ce sujet la théorie de l’esprit, Theory
of Mind, qui consiste à prêter aux autres
la possession d’états mentaux analogues à
ceux que l’on ressent). Le jeune enfant attribue des
intentions cachées, non seulement aux êtres
vivants mais aux objets de son entourage, dès lors
du moins qu’ils sont animés (par exemple des
figures géométriques mobiles sur un écran).
Il semble que beaucoup de jeunes animaux appartenant aux
espèces dites supérieures font de même.
Ceci permet au nouveau-né d’être réactif
vis-à-vis des intentions qu’il prête
au monde et de construire par essais et erreurs sa propre
personnalité. Si elle n’est pas contrée
par l’éducation, une telle propension, exportée
chez l’adulte, servira de support aux croyances dualistes.
Le
psychologue évolutionnaire Paul Bloom, de Yale, va
plus loin. Il suppose que le jeune enfant dispose de deux
systèmes de connaissance autonomes, l’un traitant
de l’esprit et l’autre des relations avec le
monde physique. Il nomme ceci le dualisme de sens commun
(common sense dualism). Il s’agirait en fait
d’un fonctionnement quasiment défectueux du
cerveau. Le cerveau laisserait la partie de lui-même
qui commande les comportements quotidiens en relation avec
le monde matériel agir de façon mécanique,
sans produire d'intentionnalités, tandis que le cerveau
cortical, fonctionnant sous le régime de la conscience
dite supérieure, tendrait à supposer l’existence
de telles consciences chez des animaux et personnes extérieures.
Par extrapolation, le cerveau supérieur en viendrait
à imaginer que cette faculté consciente puisse
se trouver désincarnée et vivre d’une
vie propre. Il s’agirait alors d’une extension
ou radicalisation de la théorie de l’esprit.
On
dira que ces observations n’ont rien de nouveau et
ont permis notamment d’expliquer depuis longtemps
l’animisme que l’on retrouve dans beaucoup de
cultures primitives. Même de nos jours, le poète
se demande « Objets inanimés, avez-vous donc
une âme, qui s’attache à notre âme
et la force d’aimer ? ». Il serait donc important
de sortir de la psychologie et de montrer concrètement,
par des expériences précises analysant les
bases neurales en cause, comment se forme dans le cerveau
des jeunes enfants ce dualisme fondamental. Il faudrait
aussi montrer quels bénéfices recueille le
sujet quand il suppose que des entités non conscientes
sont conscientes ou que des consciences ou esprits se promènent
de façon désincarnée dans la nature.
En fait, de telles croyances, loin d’être utiles,
pourraient provoquer beaucoup d’erreurs qui se révèleraient
néfastes pour la survie.
La
recherche de causes, fussent-elles imaginaires
On
peut donc penser que toutes ces explications ne sont pas
suffisantes. Une autre direction de recherche évoque
le besoin consistant à rechercher des causes aux
phénomènes perçus, afin notamment d’agir
sur ces causes ou tout au moins de conjurer certains de
leurs effets. Les animaux supérieurs le font spontanément
dans de nombreux cas. Il s’agit d’un comportement
essentiel à la survie. Il ne serait pas étonnant
que les humains aient développé cette forme
de relation avec le monde extérieur, dont les bénéfices
étaient pour eux immédiats. Mais, emportés
par l’élan, si l’on peut dire, ils auraient
pris l’habitude de supposer l’existence de causes
là où il n’y en avait pas. Il se serait
agi d’une sorte de principe de précaution inconscient.
Mieux vaut soupçonner la présence d’un
prédateur quand un bruit se fait entendre, même
si ce soupçon n'est pas fondé, qu’attribuer
ce bruit à un hasard inoffensif. Les cerveaux humains
se seraient donc progressivement câblés pour
faire l’hypothèse de l’existence de causes,
y compris des causes surnaturelles quand des causes naturelles
n’apparaissaient pas immédiatement. En découlait
immédiatement la croyance en la finalité :
tel phénomène ou objet a pour but ou cause
de jouer tel rôle.
Le
recherche des causes est à la base de la démarche
scientifique, sauf qu’en ce domaine, les relations
supposées entre causes et effets font l’objet
d’une critique collective sévère. On
comprend donc bien que chez la plupart des jeunes et même
des adultes ne pratiquant pas la rigueur de la méthode
scientifique, la tendance à supposer l’existence
de causes surnaturelles ait constitué de tous temps
et demeure encore un « câblage très dur
» dans le cerveau des individus. D’où
la difficulté qu’ont les matérialistes
(quand ils se préoccupent de cette question) à
convaincre leurs contemporains de la vanité des superstitions
et des croyances religieuses pour expliquer le monde.
Ajoutons
que l’hypothèse faisant reposer dans la recherche
des causes le fondement des croyances religieuses permet
de commencer à expliquer l’apparition des incroyants
ou athées. Comment dans des populations dont les
cerveaux étaient généralement câblés
pour générer des croyances irraisonnées
en un ordre extraterrestre, ont pu apparaître et se
répandre (à petite dose) des individus dont
les cerveaux se refusaient à embrasser sans preuves
de telles croyances ? Nous pensons que la réponse
à cette question réside dans le fait que les
cerveaux ne sont pas tous identiques, ni à la naissance
ni au terme de leur éducation sociale. Il s’en
trouve quelques uns, en petit nombre, pour faire preuve
d’incrédulité, aussi bien à l’égard
de ce qu’ils croient voir à première
vue qu’à l’égard de ce qui leur
est dit. Pour croire, ils ont besoin de preuves matérielles
sérieuses et renouvelées. Cette capacité
se retrouve chez certains individus au sein de diverses
espèces animales. Ils ne se laissent pas leurrer
par des pièges et tromperies comme le reste de leurs
congénères. Ce qui leur est généralement
utile.
Les
athées sont de cette sorte. Dès l’enfance,
ils ont refusé de croire aux enchantements proposés
par les religions, de la même façon qu’ils
avaient refusé de croire au Père Noël.
Ils ne percevaient pas de preuves matérielles justifiant
de telles hypothèses. Il s’agissait, si l’on
peut dire, de scientifiques avant la lettre. Si notre hypothèse
était exacte, elle permettrait de comprendre pourquoi
les incroyants sont à la fois si rares et si précieux…et
pourquoi ils risquent de le rester encore longtemps.
Notes
1) Lire l’article Born believers.
How your brain creates God par Michaêl Brooks
http://www.newscientist.com/article/mg20126941.700-born-believers-how-your-brain-creates-god.html?full=true
2)
Voir notre article présentant le livre de Gazzaniga
"Human, What makes us unique". http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/sept/human.html