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Technologies
et politique La
Nouvelle route de la soie: s'agit-il d'une
gigantesque bulle en préparation ?
Jean-Paul Baquiast 26/05/2015

Depuis
que la Chine a annoncé avec force efforts
de communication qu'elle proposait à
une dizaine de pays et à des centaines
d'investisseurs de s'associer au projet de
Nouvelle route de la soie (NRS), destiné
à joindre la Chine à l'Europe,
à travers l'Asie et le Moyen-Orient,
les commentaires admiratifs n'ont pas manqué.
Ceci d'autant plus que dans l'intervalle la
Chine mettait en place une banque asiatique
d'investissements (AIIB) à laquelle
ont décidé de s'associer tous
les grands pays, y compris européens.
Manifestement,
tous ces pays, même s'ils nourrissent
une grande méfiance à l'égard
de l'expansionnisme chinois, ont jugé
qu'il valait mieux être dans le train
que rester sur le quai. Pour ce qui nous concerne,
dans un article précédent
« La Chine, super-puissance à
la mode du 21e siècle ? »
nous avions présenté une évaluation
globalement favorable à ce projet,
s'appuyant notamment sur une étude
de deux économistes espagnols. Manifestement,
si le projet réussissait, il pourrait
faire de la Chine une super-puissance non
seulement économique mais diplomatique,
capable de prendre une avance décisive
sur les Etats-Unis.
Depuis, les commentaires laudateurs se sont
multipliés, y compris en provenance
des milieux financiers internationaux. C'est
le cas d'un article récent de Robert
Berke dans la revue OilPrice, bonne interprète
des milieux de pétrole et de l'énergie,
encore largement dominés par les intérêts
américains «
New Silk Road Could Change Global Economics
Forever »
Nous
incitons nos lecteurs à le lire attentivement.
Disons seulement ici que l'auteur, consultant
pour l'Etat d'Alaska, propose une évaluation
extrêmement positive du projet chinois
de NRS. Si positive que l'on peut se demander
quels motifs se cachent derrière cet
enthousiasme. Le projet sera-t-il un «
game changer » pour le 21e siècle,
ou permettra-t-il seulement à toute
une série d'intérêts géostratégiques,
économiques, financiers, grands ou
petits, de tenter des coups spéculatifs
dont la plupart pourraient se transformer
en bulles désastreuses pour ceux qui
y auraient cru?
Il
n'est pas possible ici de répondre
à cette question. Nous ferons seulement
quelques remarques méritant des discussions
plus approfondies
Les
budgets
Le
projet de NRS, dans sa configuration la plus
ambitieuse, s'étendra sur au moins
20 ans, sinon 50 ans. Or la liste des investissements
impliqués, à supposer que leur
évaluation soit correcte, se monte
au bas mot à plusieurs trillions de
$. (1 trillion = 1000 milliards). Qui pourra
fournir de telles sommes? Certes, tout ne
sera pas à verser en une fois et dès
le début. Un grand programme, s'il
est réussi, peut produire des retours
sur investissements, directs et indirects,
supérieurs aux coûts initiaux.
Sa rentabilité doit se juger sur le
long terme ou très long terme. Cependant
des dépenses importantes initiales
sont indispensables, pour que le programme
prenne sa vitesse de croisière. Dans
le cadre de la NRS, on peut estimer les budgets
nécessaires pour les 3 prochaines années
à 2 ou 3 trillions de dollars. D'où
viendront les crédits correspondant,
étant entendu que nous ne sommes plus
au Moyen Age, où il était possible
de faire travailler les populations sans leur
demander leur accord?
Les
ressources mobilisables ne sont pas très
nombreuses. On trouvera les réserves
de change accumulées par certains Etats
(1 trillion pour la Chine?). Mais les autres
Etats fortement endettés, ne pourront
guère contribuer. On trouvera aussi
des produits d'impôts ou d'emprunts
décidés par les Etats des pays
participants. Mais là encore, les marges
sont faibles. Viendra enfin la création
de monnaie dite Quantitative Easing que pourraient
décider certaines Banques centrales.
Mais chacun sait dorénavant que seule
la Banque fédérale américaine,
appuyée par la puissance militaire
des Etats-Unis, a pu un certain temps disposer
de telles ressources, en voie de tarissement
aujourd'hui.
L'insécurité
politique
La
NRS, notamment par sa composante terrestre,
traversera de nombreux pays politiquement
instables et parcourus de fortes revendications
nationalistes ou religieuses, voire tribalistes.
Certes les initiateurs du projet ont fait
valoir que les perspectives de développement
offertes par celui-ci devraient calmer les
antagonismes et réunir toutes les parties
dans un effort mutuel pacifique. Cependant,
qui peut croire à cet espoir? Ne fut-ce
que pour ses débuts, le projet devra
déployer de nombreux moyens militaires
et policiers pour protéger les premiers
chantiers de voies ferrées ou de télécommunications.
Par la suite, des terroristes divers pourront
s'attaquer aux investissements et les rendre
inutilisables. Si les Etats-Unis ne sont pas
directement impliqués dans le projet,
comme cela semble être le cas aujourd'hui,
ils pourront très facilement susciter
des troubles compromettant ses perspectives.
On le constate dès maintenant avec
la crise politique en Macédoine dont
le résultat sera de bloquer le projet
d'oléoduc Turkish stream envisagé
par la Russie, au détriment de la Grèce
et de l'Europe de l'Est.
L'accueil
des Etats-Unis
On
sait que les Etats-Unis, dès le début,
ont affirmé qu'ils ne voulaient participer,
ni à la NRS, ni à l'AIIB. Cette
participation aurait été paradoxale,
à un moment ou l'Amérique affirme
sur tous les tons que la Chine représentera
pour elle, après la Russie, le premier
des risques majeurs, autrement dit l'ennemi
à abattre. Si l'Amérique persiste
à vouloir « contenir »
la Chine, elle ne manquera pas de moyens divers,
militaires mais aussi relevant de la diplomatie
du dollar et des services secrets, pour faire
avorter le projet de NRS.
Cependant
les intérêts économiques
et financiers américains, faisant la
loi à Wall Street et à Washington,
pourraient changer d'opinion si certains programmes
participant à la mise en place de la
NRS leur paraissaient profitables. Ce serait
particulièrement le cas dans tous les
domaines faisant appel à des technologies
avancées, qui ni la Chine, ni les autres
pays participants, ne pourraient fournir.
Dans ce cas, la Chine serait obligée
en pratique de faire appel à l'expertise
américaine, qui demeurera longtemps
la première du monde. Mais dès
que cette décision sera prise à
Pékin, il sera légitime de présenter
la NRS comme une initiative sino-américaine.
On peut penser que les autres pays participants,
y compris l'Europe, l'Inde et le Pakistan,
seraient satisfaits de cette inflexion. Mais
qu'en sera-t-il des Chinois eux-mêmes?
La
multiplication des « bulles »
Certains
commentaires considèrent dès
maintenant que le projet de NRS tout entier
serait une gigantesque bulle, organisée
volontairement ou involontairement, par les
Chinois. On appelle bulle une initiative visant
principalement à attirer des investisseurs
naïfs, et qui s'effondre inévitablement
à terme, Il est raisonnable de penser
que la Chine n'a pas organisé à
l'échelle du monde, une bulle de l'ampleur
de son projet de NRS. Mais dans le cours du
développement du projet, les occasions
de mise en place de bulles se multiplieront.
Certaines existent déjà au sein
même de l'économie chinoise,
du fait des investissements et emprunts irresponsables
décidés par les collectivité
locales. A l'avenir, aucune autorité
ne sera capable d'éviter l'apparition
de telles bulles. Or après s'être
laissé prendre au sein de quelques
bulles, les investisseurs se détourneront
du projet tout entier
Des
conséquences environnementales catastrophiques
Mentionnons
pour terminer un point que n'évoquent
absolument pas les initiateurs de la NRS.
Il s'agit des conséquences environnementales
catastrophiques qu'auront inévitablement,
tant au début que dans la suite, les
innombrables chantiers et « mises en
valeur » découlant du projet.
Dès le début, ces conséquences
se feront sentir. Ainsi, on ne construit pas
sans dégâts considérables
des voies de transport à grande échelle
dans des pays déjà menacés
par la sécheresse ou les pollutions
diverses. Comme il est quasiment certain qu'avec
la poursuite du réchauffement climatique,
la fragilité des régions traversées
ne fera que s'accentuer, les résistances
au projet ne feront qu'augmenter. Si ces résistances
ne sont pas entendues, comme on peut le craindre,
ce sera de très mauvais augure pour
la survie à terme du projet et l'avenir
même de la planète. .